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duré. Sans parler de la licence des mœurs, qui fut un obstacle, beaucoup de maîtres y voyaient dans la pratique un sérieux inconvénient, celui de ne pouvoir pas vendre leurs nègres séparément. Le Frère Saint-Gilles rapporte qu’à Cayenne ils essayaient du moins de le tourner, tout en cherchant à favoriser les naissances. Ils se contentaient à cet effet de marier eux-mêmes leurs esclaves, même ceux qui étaient chrétiens, afin de se réserver la facilité d’en disposer toujours à leur gré, en dépit du Code Noir. Cependant, les mœurs n’étant nullement surveillées, le libertinage persistait et les avortements étaient très fréquents. Très souvent les mariages étaient mal faits ou même ils ne pouvaient avoir lieu. Voici à ce sujet un passage très net d’une lettre ministérielle adressée, le 25 juillet 1708, à M. le comte de Choiseul[1] : « … Il n’est pas permis à un nègre d’une habitation d’épouser la négresse d’une autre, quoiqu’ils aient de l’inclination l’un pour l’autre, ce qui est la cause de beaucoup de mauvais mariages que la nécessité a conclus. Il y a, d’ailleurs, des habitations où on ne peut faire aucun mariage, soit parce que les nègres appartiennent à différents maîtres ou qu’ils sont parents au premier degré, soit faute de négresses. Vous examinerez, de concert avec M. Mithon, avec les meilleurs et les plus censés, le moyen de remédier à cet obstacle, qui est même contraire au bien de la colonie, qui la prive d’une augmentation d’esclaves, et vous ferez savoir les tempéraments dont vous serez convenus. »

C’étaient surtout les Jésuites qui s’entendaient à faire sagement et savamment prospérer et multiplier leurs esclaves. « Lorsque cet ordre a cessé à la Martinique, écrit Petit[2], leurs ateliers, depuis bien des années, n’attendaient plus les cargaisons importées de Guinée pour se recruter. » Mais il s’en fallait que tous les habitants suivissent leur sys-

  1. Arch. Col., B, 31, p. 169.
  2. Op. cit., I, 115.