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gens qui ont commerce avec le diable », et il raconte l’histoire de plusieurs nègres sorciers. À l’un d’eux entre autres il a « fait distribuer environ 300 coups de fouet, qui l’écorchèrent depuis les épaules jusqu’aux genoux » ; puis, il l’a fait mettre aux fers, après l’avoir fait laver avec une pimentade, c’est-à-dire avec de la saumure dans laquelle on a écrasé du piment et de petits citrons.

Cette croyance à la sorcellerie, les nègres l’avaient apportée de leur pays. Dès leur enfance ils avaient appris à croire aux ombies ou revenants[1], et ils portaient, pour s’en garantir, des grigris, ou amulettes, composés par des sorciers et enchanteurs. Ils croyaient aussi à la transmigration des âmes. C’est pour cela que certains se suicidaient, persuadés qu’après leur mort ils retourneraient dans leur pays. « On n’a vu que trop souvent les Ibos d’une habitation former le projet de se pendre tous pour retourner dans leur pays. Il y a longtemps qu’on oppose à leur erreur une de leurs propres opinions ; lorsqu’on n’a pu prévenir absolument ce voyage Pythagoricien, on fait couper la tête du premier qui se tue, ou seulement son nez et ses oreilles, que l’on conserve au haut d’une perche ; alors les autres, convaincus que celui-là n’osera jamais reparaître dans sa terre natale ainsi déshonoré dans l’opinion de ses compatriotes, et redoutant le même traitement, renoncent à cet affreux plan d’émigration[2]. »

On peut penser jusqu’où allait ainsi l’imagination de ces malheureux, surexcitée encore dans bien des cas par la souffrance et la terreur. Se figurant qu’on pouvait leur jeter des sorts, ils tâchaient de se protéger au moyen de petits sachets on paquets ficelés appelés garde-corpset macandals[3]. Dans

  1. Schœlcher, Col. françaises, 323.
  2. Moreau de Saint-Méry, Description de Saint-Domingue, I, 36, Même idée dans la Réponse à MM. les philanthropes anglais. Arch. Col., F, 61.
  3. Macandal est le nom d’un célèbre empoisonneur, que nous retrouverons plus loin.