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spirituels ; au surplus, les maîtres ne pouvaient guère les y envoyer les jours ouvriers. Mais il était plus facile d’édicter que les esclaves assisteraient aux offices et aux instructions religieuses que de l’assurer dans la pratique. Dans les paroisses assez considérables, il y avait un curé des nègres[1] ; mais il ne pouvait guère catéchiser que les esclaves des villes. Il n’y en avait que très peu parmi ceux des habitations qui eussent les moyens de venir régulièrement à l’église[2]. Qu’on songe, en effet, à la difficulté de conduire et de réunir dans un même endroit des centaines d’esclaves, fussent-ils même sous la surveillance des commandeurs. C’eût été s’exposer à des révoltes. Frappés de ces inconvénients, quelques maîtres eurent l’idée d’établir, en 1715, des chapelles spéciales sur leurs habitations. Mais les prêtres ordinaires trouvèrent qu’il y avait abus, leurs paroisses n’étant plus fréquentées. Aussi un ordre du roi, du 25 août 1716[3], les supprima, et, dans la suite, on ne songea nullement à y suppléer pour les esclaves.

Si l’on s’en rapportait uniquement aux prescriptions qu’on lit dans les documents, on risquerait fort de se tromper en croyant que les nègres devenaient pour la plupart bons chrétiens. Voici, par exemple, un Règlement[4], très bien conçu assurément, et qui fut adressé aux curés des îles. Le préambule a soin de rappeler que le seul avantage que les esclaves puissent retirer de leur état est le salut de leur âme ; aussi est-ce pour cette raison que nos rois en ont autorisé la traite. Jésus-Christ n’est pas moins le sauveur de l’esclave que

  1. Petit, op. cit., II, 114.
  2. « Les esclaves travaillent les jours de commandement, ne sont pas instruits et meurent sans baptême. » Arch. Col., F, 21, Mémoire du frère Saint-Gilles touchant la religion et les mœurs de la colonie de Cayenne. — Cf. aussi une lettre du Ministre au Comte de Choiseul, 25 juillet 1708. Arch. Col., B, 31, p. 169. Il constate que les esclaves ne sont pas instruits, et il ajoute : « Vous ferez connaître aux maîtres leur véritable intérêt ; mieux les nègres sont instruits, plus ils leur seront fidèles. »
  3. Durand-Molard, op. cit., I, 113.
  4. Arch. Col., Colonies en général, XIII, F, 90.