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les femmes qui tombent

Jamais pressée, celle-là. Il neige, les omnibus passent complets, et elle attend. Tu crois qu’elle songe à notre inquiétude ? Ah ! ouiche ! Elle préfère bien économiser les trente sous d’une voiture et nous tenir là, l’estomac vide…

— Huit heures et demie, murmura la jeune fille toute pâlissante. Je t’assure, père, qu’il est arrivé quelque chose. Le cœur me bat. Si tu sortais…

— Par ce temps-là ! merci…

Il se ramassa plus près du poêle, l’air grognon.

Elle resta plantée devant lui, les mains jointes, avec un peu de colère dans les yeux.

Tout à coup elle dit brusquement :

— Ce n’est pas aux femmes d’ailleurs à faire ces corvées. C’est toujours ma mère qui a sollicité pour ton avancement. C’est honteux à la fin ! je sais bien qu’à sa place…

— Tais-toi donc, fillette, dit-il en clignant de l’œil avec malice, tu n’entends rien à ces choses-là. Les femmes, vois-tu, il n’y que ça pour réussir.

Il se frotta les mains par petits coups secs qui sonnaient comme des claques et sa figure niaise s’épanouit dans une grosse joie.

— Tu vas voir, tu vas voir, disait-il d’un air finaud, ta mère aura enlevé la situation. Passer chef de bureau avec six mille francs d’appointements, quand on est simple employé à trois mille, c’est un fameux saut, et il faut un rude coup d’épaules pour y arriver.