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parfait. On me juge capable de faire ce travail, on me le confie ; mais il me faut quitter Paris. Le courage me manque de m’en aller sans vous. D’autre part, je n’ai pas une avance, qui me permette de vous dire : Marions-nous tout de suite, je vous emmène. Que faire ? Ensemble nous causerions, nous délibérerions ; mais vous ne voulez pas me recevoir. Le temps presse cependant. Manon, je vous aime. Quoi qu’il arrive, comptez sur moi toujours : je serai votre mari. Je suis votre fiancé, votre ami pour la vie,

“ Marcel. ”

Manon ne pleurait plus ; elle écoutait, retenant son souffle. Mais, bien qu’ils eussent achevé de lire, les frères Colombe ne bougeaient pas, absorbés dans leurs pensées. Alors Manon leva résolument la tête, toute rouge, les yeux baissés, et se mit à rattacher ses cheveux qui l’embroussaillaient de leur toison fauve, emmêlée. Elle y mettait de la malice, les tordant furieusement et piquant les épingles à plein poing. Enfin elle se décida à couler un regard en dessous et s’aperçut que les deux frères étaient perdus, immobilisés dans leur sombre rêverie. Elle recula sa chaise : ils tressaillirent et la regardèrent avec une telle expression de désespoir que Manon en fut remuée jusqu’au cœur ; elle se leva et courut se jeter dans leurs bras les tenant tous les deux dans une même étreinte. Elle disait :

— Pardon, maman Pion ; pardon, papa Nibal ; je ne voudrais pas vous faire de peine ; mais je serai bien malheureuse si je n’épouse pas Marcel !

— Tu l’aimes ? lui dit doucement Scipion.

— Oh ! oui, maman.

— Tu l’aimes… plus que nous ? reprit très bas Annibal.

— Ce n’est pas la même chose, répondit Manon en souriant.

— Il est jeune, lui !… soupira inconsciemment Scipion.

Manon répondit sans comprendre :

— Il a vingt cinq ans.