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— Tu ne nous l’avais pas dit… ajouta Scipion d’un ton de vif reproche.

Manon ne répondit pas. Annibal commença :

— Ces relations ne sont pas convenables.

— Parce que ?… dit Manon très douce.

— Parce qu’une jeune fille…, une jeune fille…

Et il demeura là, cherchant des mots qui ne lui venaient pas à cause de Manon qui le regardait bien en face, légèrement souriante. Scipion lui vint en aide :

— D’ailleurs nous sommes responsables et… cette fenêtre demeurera fermée ; voilà tout.

— Voilà tout, acheva Annibal, qui fut pris d’une grosse émotion en voyant Manon qui pâlissait.

Elle murmura, prête à pleurer :

— Je ne fais pas de mal.

— On ne sait pas ! cria Scipion très méchant.

— Oh ! soupira Manon.

Et elle éclata en sanglots.

Les deux frères se regardèrent, pris de remords comme s’ils venaient de battre Manon, de lui faire du mal. C’étaient eux qui la faisaient pleurer maintenant : il ne manquait plus que cela ! Leur colère se fondait dans un désespoir immense ; ils auraient donné tout au monde pour la consoler. Ils s’étaient rapprochés l’un de l’autre, très près, se regardant dans les yeux cherchant leur pensée : une pensée navrante qui les torturait, allongeait leurs traits, faisait trembler leurs lèvres. Cela prolongeait cruellement un silence terrible coupé des seuls pleurs de Manon suffoquée. À la fin, Scipion passa violemment la main sur son front, en soupirant comme si on lui arrachait l’âme, et, regardant une dernière fois son frère avec des yeux brouillés de larmes, affermit sa voix pour lui dire très bas d’un ton presque plaintif :

— Nous n’avons pas le droit de la faire souffrir. D’ailleurs,