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Tout de même, le grand air les débarbouilla quelque peu de leur mélancolie, et le retour fut presque riant. D’abord on revenait ; et puis Manon allait se régaler avec ses jolies mines de chatte gourmande, le menton avancé sur son assiette, par-dessus une grosse poignée de violettes plantée au milieu de son corsage.

Ils arrivèrent à la maison vers cinq heures, ayant beaucoup marché, mais se hâtant pour grimper l’escalier comme si leurs jambes étaient toutes fraîches.

Scipion mit la clef dans la serrure lentement, en écoutant, par habitude ; puis il sursauta et regarda Annibal : Manon, parlait. Elle parlait comme dans un gazouillement un peu lointain, avec de petits rires.

Brusquement Annibal poussa la porte, fit deux enjambées énormes et aperçut Manon penchée à l’une des fenêtres de la salle à manger, le buste en dehors, se rapprochant de la croisée qui faisait face dans l’angle du mur de retour, très près.

Elle se retourna au bruit, jeta un petit cri effarouché et, se retirant vivement, voulut, refermer la fenêtre. Mais Annibal avait saisi l’un des battants et Scipion se penchait par-dessus l’épaule de Manon. Un store se rabattit d’un coup sec, en face, laissant à peine entrevoir le profil fin d’un très jeune homme blond.

— À qui parlais-tu ? demanda violemment Annibal.

Manon s’était remise, calmée. Elle leva son regard tranquille, légèrement agressif cependant, et répondit :

— À mon voisin, le graveur, celui qui retouche mes dessins depuis quelque temps, M. Marcel.

— Depuis quelque temps ? balbutia Scipion.

— Depuis que je ne vais plus à l’atelier.

— Il vient donc ici ? s’écria Annibal furieux.

— Il n’y a jamais mis les pieds.

— Mais alors ?…

— Eh bien, vous avez vu ; c’est par la fenêtre.