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toilette de ses gardiens et ne se prononça que lorsqu’ils furent près de la porte, coiffés, gantés, attendant que Manon sortît équipée de sa chambre. Elle vint en peignoir et en pantoufles leur apporter sa décision ; mais elle ajouta qu’on lui ferait plaisir d’aller sans elle des champignons dans les bois de Chaville : elle les adorait, les champignons, et s’en régalerait le soir même.

Elle disait cela de sa plus douce voix, avec son plus charmant sourire. Mais Annibal fronçait les sourcils et Scipion soufflait, très colère. Cependant il fallait répondre.

— Nous n’avons pas besoin d’aller si loin, et d’aller à deux pour cette besogne, dit enfin Scipion d’un ton bourru. Si Annibal veut s’en charger, j’aime autant rester, moi aussi.

— Tu sais bien que je ne m’entends pas à chercher cela, moi, répliqua Annibal très sec.

— C’est vrai, ajouta Manon ; papa Nibal n’y entend rien. Mais il aidera maman Pion à porter la cueillette. Je veux beaucoup de champignons, beaucoup, beaucoup…

— Et toi, que vas-tu faire, toute la journée, seule ainsi ?

— Moi ? Oh ! que vous restiez ou que vous partiez, ce sera même chose : je vais rentrer dans ma chambre et me jeter sur mon lit, jusqu’à ce soir ; je suis lasse.

Cela les décida. Puisqu’on ne devait pas la voir de la journée, autant valait satisfaire son caprice.

— Allons, on va t’en chercher, des champignons, grommela Annibal.

Et il poussa Scipion devant lui pour sortir.

Ils avaient l’air véritablement funèbres, les pauvres frères Colombe, en prenant le bateau qui devait les descendre à Meudon. Et c’eût été pitié que de les voir courir les bois, d’une mine toute bourrue, emplissant leurs mouchoirs, Scipion de champignons larges, bruns, que Manon adorait, et Annibal de violettes sans parfum, mais fraîches et gaies avec leurs cœurs d’or.