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IX


Le lendemain, les frères Colombe évitèrent de se parler de l’incident de la soirée précédente. Il n’y fut fait aucune allusion, et même le nom de Manon ne fut pas prononcé. Au reste, ils se parlèrent peu, paraissant enfoncés dans leurs pensées, graves, un peu tristes.

De son côté, Manon, muette et pincée, les yeux baissés, mais secs, ne demanda rien. On ne fit ni lecture ni déclamation à partir de ce jour ; les soirées se passaient presque silencieuses dans une gêne qu’on ne dissimulait même pas. Manon dessinait, ou rêvait dans de longues immobilités. Les frères Colombe faisaient semblant de feuilleter un journal ou un livre, ou bien tisonnaient machinalement, brouillant le feu qui s’éteignait. Cependant, si Manon laissait rouler à terre une règle, un crayon ils l’avaient vu et se précipitaient ensemble.

Le printemps vint, écourtant les veillées ; le malaise se dissipait peu à peu. L’instinctive espérance que le renouveau met dans les cœurs allégeait, semblait-il, toutes ces tristesses, chassait tous ces ennuis. On avait repris les promenades du dimanche ; Manon recommençait à sourire, mais d’un sourire inquiétant qui attirait les regards sur elle. Cet appel inconscient de sa jeunesse robuste à quelque bonheur espéré, attendu, la rendait séduisante et dangereuse. Dès qu’elle s’arrêtait en chemin, toujours quelque galant s’arrêtait auprès d’elle ou tournait bêtement comme un papillon affolé. Mais les frères Colombe faisaient bonne garde, le visage empreint d’une sourde colère. Sans se parler, ils se comprenaient pour cela, et d’un regard ils s’étaient désigné l’ennemi.

Un dimanche, comme on allait partir, Manon déclara qu’elle était lasse et ne sortirait pas. Elle avait laissé parachever la