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Ici le livre trembla dans la main du lecteur, lui échappa et roula par terre. Scipion le ramassa vivement, l’ouvrit et acheva :

    Telle qu’un fruit de pourpre ardent et parfumé
    Qui rafraîchit le cœur en altérant la bouche.

Manon s’était subitement retournée :

— Tiens ! maman Pion ! comme vous avez dit cela !

— Je sais lira aussi, répondit Scipion rouge jusqu’aux oreilles, troublé, bouleversé, éperdu, qu’il se leva pour aller tirer les volets qui étaient clos cependant depuis la nuit.

Mais il rafraîchit son front à l’air une seconde et rentra.

Manon avait repris l’effilochement rêveur de sa natte et son attitude renversée, le nez au plafond. Annibal feuilletait un livre, gravement, sans voir, le front penché, les yeux presque clos.

Tout à coup Manon soupira, étendit les bras et balbutia :

— Dieu ! que je voudrais aller là-bas !

— Où ça, là-bas ? demanda Scipion.

Elle murmura :

— Là où les bengalis boivent les mangues mûres.

— Tu aimerais donc à voyager ?

— Oui. Je voudrais aller bien loin, bien loin, dans quelque pays où il y aurait…

— Quoi ?

— Je ne sais pas.

Et Manon subitement éclata en sanglots. Les deux frères la regardèrent un instant, effarés, stupides d’étonnement, d’effroi.

— Qu’as-tu ? murmura Annibal.

Mais Scipion s’était agenouillé près du fauteuil et essayait de prendre la main de Manon qui s’en couvrait le visage.

— Voyons, voyons, ma petite Manon, tu n’es donc pas heureuse avec nous ? Qu’est-ce qui te manque ? Dis-le. Tu sais que