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Bientôt les plats, les vases, les tasses de porcelaine aux dessins ébauchés encombrèrent la salle à manger, tous profondément respectés par le plumeau de maman Pion et admirés sans réserve par Annibal. C’était une émotion pour eux de se dire chaque soir, en chemin, revenant du bureau :

— Voyons ce qu’elle aura fait aujourd’hui !

— C’est qu’elle a du talent ! exclamait Scipion.

— Elle obtiendra certainement une récompense au Salon, ajoutait Annibal. Son dessin se perfectionne.

— C’est vrai ; elle vous a un coup de crayon ! C’est même surprenant pour une fillette !

— Oh ! elle, est artiste !

Et ils se rengorgeaient, se frottaient les mains, les pauvres frères Colombe ; et ils respiraient d’aise, heureux d’une joie profonde, sans mélange, ayant trouvé pour eux le summum du bonheur dans l’attachement de tout leur être à cette fillette qui était leur œuvre et qui était devenue maintenant leur unique raison de travailler et de vivre.

Quand ils arrivaient à leur porte, ils écoutaient une seconde avant d’entrer, la face rayonnante si Manon chantonnait, vaguement inquiets s’ils n’entendaient aucun bruit. Vite on ouvrait. Peut-être Manon était-elle sortie ! Et, on ne sait pas ! tant de choses arrivent. Les rues de Paris ne sont pas sûres pour une fillette, seule…

Mais elle était là, penchée, la tête un peu sur le côté, très sérieuse, travaillant.

C’était une grande joie. On venait l’embrasser sur le front et l’arracher à son ouvrage. Elle se fatiguait, ses yeux étaient rouges, elle se rendrait malade. Voilà que ses joues flambaient. Si c’était la fièvre ! Il n’y avait pas de bon sens à travailler comme cela ! Elle pouvait bien se reposer, se distraire, aller, venir…

— Oui, comme un ours en cage, répondit un jour Manon un peu triste. Je préfère m’occuper.