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Alors ils perdaient un peu la tête, les pauvres frères Colombe : un malaise indicible, plein de trouble et d’un étrange émoi, les faisait échanger un regard d’angoisse, comme s’ils voyaient déjà s’entre-bâiller la cage par où l’oiseau, le cher oiseau, s’envolerait. Et cela leur causait une douleur sourde, inavouée qui s’en allait grandissant.

En même temps ils s’appliquaient à distraire Manon, essayant de tous les jeux d’enfant, affectant de la traiter toujours en petite fille, lui promettant des brioches ou des jouets. Mais elle répondit quelquefois : « Je préférerais aller au spectacle, » ou bien : « J’aurais besoin de poudre de riz, avec une patte de lièvre pour l’étendre. » Cela faisait des discussions interminables entre les deux frères.

— De la poudre ! s’écriait Annibal.

— Mon Dieu, il n’y a pas grand mal à cela, au fond, expliquait Scipion qui avait déjà la poudre dans sa poche. Si on la refuse, elle y attachera une importance plus grande. Et quelque camarade d’atelier lui en donnera. C’est plus dangereux encore !

— C’est juste, répondait Annibal.

Et Manon, le soir, en rendant, trouvait sur sa table une jolie boîte pomponnée avec tout un attirail de houppes et de flacons.

Pendant huit jours, elle s’enfarina. Et puis, se trouvant laide décidément ainsi défraîchie, elle renonça à la poudre et Scipion triompha.

Mais ce furent d’autres fantaisies qui lui poussaient maintenant, inconsciemment, et qu’elle avouait sans vergogne, habituée à se faire donner la becquée par sa nouvelle famille, et comme si elle eût été réellement la fille de papa Nibal et de maman Pion.

Elle voulut apprendre la musique. Sa voix était fraîche, agréable.

— Ce serait dommage, disait-elle, de ne pas cultiver cela.

Elle avait pris les façons d’apprécier de Scipion.

On lui fit enseigner la musique.