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Et c’était lui que Manon écoutait et regardait en souriant.

Ils finirent par jouer tous les deux à pigeon-vole sur un coin de la table, dans les grands rires de Manon qui venait de pousser l’irrévérence jusqu’à fairevoler le propre nez de Scipion.

Quand elle eut sommeil, ce fut à lui qu’elle le confia tout bas.

— Eh bien ! va te coucher, petite. Bonsoir ! As-tu les pieds bien chauds ?

Manon tressaillit :

— Vous m’avez dit ça comme maman : ça m’a donné un coup. Pauvre maman !…

— Dis donc, interrompit vivement Scipion, c’est un peu vrai que je te servirai de mère, moi ! J’ai des idées de femme. Tu vois bien, c’est moi la femme de ménage ici…

Et, pour faire rire Manon, il se drapa jusqu’au menton dans son grand tablier.

— Maman Scipion, murmura la petite. C’est ça qui serait amusant !

— Vrai ? Eh bien, c’est dit : appelle-moi maman. J’aime mieux ça d’ailleurs ; ça ne me va pas que tu me dises môssieu

Annibal ne remuait pas, les yeux presque fermés. Scipion le regarda, pris d’un subit remords, et il ajouta vite :

— Et mon frère qui t’aime bien aussi, te permettra de l’appeler papa.

La petite fille avait fait un mouvement comme pour s’en défendre ; mais Scipion d’un signe rapide lui fit comprendre qu’elle allait blesser Annibal. Alors elle sourit et murmura :

— Bonsoir… papa… Nibal.

Celui-ci, tout étranglé, répondit d’une voix chevrotante :

— Bonne nuit, ma petite Manon.

Mais déjà Manon sautait au cou de l’autre frère en criant cette fois, dans son rire brouillé d’enfant qui s’endort :

— …Soir, maman Pion.

La famille était constituée : c’était comme un acte d’adoption qui venait d’être signé là par les deux frères. Manon leur