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qui ne demandent qu’à s’épanouir dans la tiédeur du foyer et que la misère, la faim jettent au vice de la rue ! Ne devrait-on pas battre les pavés, nuit et jour, pour recueillir ces précieuses épaves ?

En voici une de sauvée, au moins ! Et comme c’était bon de la sentir là, n’ayant plus froid, n’ayant plus faim, rassurée, consolée, avec la perspective d’un avenir honnête et doux ! Elle paraissait si tranquille sous leur protection, si joyeuse, la mignonne, de tous ces dons, de toutes ces surprises qui lui étaient arrivées comme par miracle, au plus fort de sa triste misère ! Elle était heureuse maintenant.

Et Annibal aussi était heureux. Cela lui irradiait l’âme d’une joie infinie que de contempler là, de ses yeux mi-clos, tout ce bonheur qu’il avait fait.

Quand la nuit fut venue, la robe de Manon se trouva fort avancée, point finie cependant ; mais il fallut qu’elle la revêti pour le souper, tant il leur tardait de ne plus revoir les guenilles de la petite meurt-de-faim.

La robe ne tenait encore qu’à un fil : n’importe, elle tint sur les épaules de la fillette toute flambante sous le lustre neuf du beau cachemire noir qu’Annibal avait payé très cher.

Elle s’assit à table, avec de grandes précautions, tandis que Scipion, rouge de la cuisine sérieuse qu’il avait faite, courait de la table au fourneau, très drôle sous son immense tablier bleu de cuisinière. Et on servait Manon comme une princesse, Manon qui commençait à se laisser faire, gagnée par tant de naïves bontés, émerveillée du festin, tout engourdie de bien-être et de chaleur.

Après le dîner, on parla de l’avenir. Annibal ébauchait des projets d’éducation ; Scipion promettait les plaisirs du dimanche. Quand il ferait beau, on irait à Saint-Cloud, à Meudon, à Versailles…

— Pour étudier la peinture, disait Annibal.

— Et cueillir des violettes dans le parc, ajoutait Scipion.