Page:Peyrebrune - Les Freres Colombe.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ravissement, ému qui entrait en lui avec ce bruit inaccoutumé, avec cette sonnerie joyeuse, ce réveil de printemps.

— Eh bien ! dit Manon en se levant, qu’est ce que je vais faire pour commencer ?

Mais alors les frères Colombe arrêtèrent leurs yeux sur la défroque misérable qui couvrait l’enfant, sa jupe fanée, effilochée, si mince qu’on avait froid rien qu’à la regarder aller et venir là-dedans, traînant un peu ses pieds ensavatés.

— Pour commencer, déclara Annibal tout tremblant de pitié, il te faut vêtir, Manon, et nous allons chercher ce qu’il te faut. »

— Le fait est, dit-elle en regardant sa jupe, que je suis un peu mal tenue. Mais ce n’est pas ma faute, voyez-vous : j’ai vendu ma dernière robe pour mettre un bouquet sur la fosse…, là-bas. Si j’avais des aiguilles et du fil…

— Et de l’étoffe…, ajouta Scipion.

— Oh ! je coudrais bien une robe, moi toute seule.

— Eh bien, tu la coudras.

— C’est qu’il faut un tas de choses avec cela, grommela Scipion suivant son frère dans sa chambre, et tu en oublieras sûrement la moitié ! Va pour la robe, toi ; moi, je me chargerai du reste.

Ils sortirent tous les deux, très affairés, laissant Manon mettre de l’ordre dans la maison, où déjà elle furetait avec des façons de petite ménagère qui trouve beaucoup de choses à reprendre dans un ménage tenu par des garçons.

Lorsqu’ils rentrèrent, elle frottait les vitres, perchée sur un escabeau. Par le carreau brillant entrait la blancheur éclatante des neiges qui couvraient le toit des bâtiments rapprochés en cercle autour de la petite cour, noire au fond comme un puits, et sur laquelle la salle à manger ouvrait ses deux fenêtres. Les frères Colombe s’arrêtèrent, ébahis, le nez en l’air, contemplant Manon active dont le poing volait sur la vitre et la faisait chanter.

— Qu’est ce que tu fais là ? cria Scipion alarmé. Veux-tu bien descendre ! Pour te rompre le cou !