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oublié. Il n’est pas gâté au moins par la pluie ? C’est celui de ma première communion, voyez-vous. Je n’en avais pas d’autre ; je l’ai pris pour le deuil de maman. Le blanc est deuil, n’est-ce pas, pour les jeunes filles ?

— Une jeune fille ! exclama Scipion en riant. Peste ! tu te mets bien. Et quel âge as-tu, mademoiselle ?

— Treize ans et demi, monsieur.

— Déjà ! mais tu es toute petite !

— C’est que j’ai souffert.

— Pauvre mignonne, va ! Allons, n’y pense plus.

— Oh ! si, j’y penserai toujours, puisque maman est morte ! Les deux frères se regardèrent, échangeant le même douloureux ressouvenir, le rappel de la même perte qu’ils avaient faite, eux aussi, deuil cruel, inoubliable. Manon comprit qu’elle les embarrassait de sa tristesse ; elle secoua sa tête blonde décoiffée, comme pour chasser son ennui, et, rappelant son courage :

— Le bon Dieu l’a voulu, n’est-ce pas ? dit-elle en se dirigeant vers la porte ouverte qu’on lui avait désignée. Je m’en vais le prier avant de m’endormir, afin qu’il dise à maman de ne pas se tourmenter là-haut, que je suis, à l’abri, que je n’ai plus faim… et pour qu’il vous bénisse !…

Elle passa devant Scipion et lui donna la main d’un geste affectueux et déjà timide de petite femme ; puis elle salua gravement Annibal, baissant la tête avec respect.

Annibal avait éprouvé le désir spontané de lui tendre la main ; il n’osa pas et balbutia :

— Bonsoir.

Il n’en voulait pas à Manon, pas plus qu’il n’avait eu de rancune contre Mamette. C’était juste : il était trop grave, trop vieux ; il faisait peur à ces petits êtres délicats et tendres que son « jeune frère » apprivoisait si bien. Et cependant il eut encore pour Manon une pensée douce.