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Ensuite, à genoux près d’elle, maintenant couchée sur de molles étoffes, il la fit boire délicatement. Et Annibal, sérieux, tenait la lampe approchée, présentait la tasse avec gravité comme s’il accomplissait un devoir, mais le cœur noyé d’un apitoiement tendre, tout ému du désir de parler, de caresser, lui aussi, comme Scipion, s’il n’avait redouté de laisser voir sa faiblesse.

La présence de Mamette dans le ménage des frères Colombe prit bientôt une importance que ni l’un ni l’autre n’avait prévue.

Mamette était une griffonne blonde, capricieuse et câline très volontaire et d’un caractère fort gai. Dès qu’elle fut guérie, elle devint belle, grasse, et elle témoigna sa joie d’être tombée en si bonne maison par des gambades et des cris dont le silence monacal de l’appartement des deux frères fut singulièrement troublé.

Annibal grondait pour la forme et Scipion affectait de sévir. Mais l’ombre d’une chiquenaude n’effleura jamais le nez fripon de Mamette. Même on s’habitua à sa vie turbulente et bientôt l’on y prit plaisir.

Quand on rentrait le soir du bureau, on marchait vite ; la flânerie des jours passés avait disparu : il s’agissait de délivrer Mamette de sa longue solitude de la journée, et cela devenait le texte de la conversation tout le long du chemin.

— En va-t-elle faire des cris ! disait Annibal.

— Pauvre bête ! songe donc ; enfermée tout le jour, toute seule ; on peut bien lui permettre de s’ébattre un peu.

— Oh ! c’est juste, répondait Annibal.

Et l’on grimpait l’escalier sans souffler, sur les talons l’un de l’autre, Scipion devant, sa clef en mains, depuis le tournant du quai. Et, à travers la porte :

— Chut ! chut !… Mamette, doucement, ma fille… Hé ! là.

Puis, tout de suite entré, il s’abattait sur ses genoux, Mamette dans ses bras tortillant sa fresque petite personne blonde avec des cris aigus qui trouaient l’oreille, tandis qu’Annibal grondait : « Allons ! c’est bon, en voilà assez…, » arrêté lui-même