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amer calice, chaque jour à nouveau rempli de fiel, plus je sentais croître en moi le regret du bonheur que j’avais dédaigné par un orgueil d’enfant, le regret de ce bel amoureux dont le regard seul m’avait fait éprouver d’innocentes délices, avertissement secret de joies plus profondes.

Pourquoi vous le tairais-je ? Je fus abominablement malheureuse avec mon mari. Et un malheur plus grand survint encore ; oui, plus grand même que celui de mon dégoût de cette union monstrueuse, plus grand que mes désespoirs fous à me voir enchaînée irrévocablement, dans ce mariage fatal, comme dans une geôle au fond de laquelle je devais vivre et mourir, sans avoir respiré, sans avoir bu, de ma bouche devenue avide, un peu d’air pur, un peu d’amour.

Et ce fut justement ce malheur qui, s’aggravant encore, me rendit un jour, brusquement, inopinément, ma liberté. A quel prix ? La ruine. Cependant je respirais. Non que je songeasse, alors, à la possibilité de retrouver cet amour de jeunesse, parti bien loin, depuis longtemps, mais le hasard — il n’y a pas de hasard nous disent les théosophes — ou bien les volontés inconnues qui sont les metteurs en scène de notre incohérente comédie, avaient marqué le moment de la rentrée de celui qui devait jouer, désormais, dans ma vie un rôle unique.

Je vins à Paris avec une lettre d’un de mes vieux amis pour ce charmant Guy d’Harssay, qui est bien certainement la providence de tous les débutants. Il me donna de précieux conseils, me présenta à divers journaux, notamment au Vieux-Monde et récemment au directeur de la Revue des Universités. Et, enfin, il