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« Rappelez-vous : il n’y avait aucune raison pour que je fisse votre connaissance ; malgré le talent exquis et bizarre de vos livres, vous pouviez être sotte et laide. J’ai voulu vous connaître. J’ai eu l’audace de vous écrire. Vous avez bien voulu m’accueillir ; et, dès le second jour, nous étions de vieux amis de vingt ans.

« Près de vous, pour moi, le temps n’existe pas. Une heure a la durée d’une minute. Avez-vous deviné ce qui se passait en moi ? J’ai cru le comprendre et je me suis tu. Je me suis même absolument tu, pendant une dizaine de jours où j’ai essayé de vous oublier. Votre visage n’a pas voulu me quitter et j’ai reconnu alors le sceau de l’inéluctable, qui est l’éternel.

« Je dois vous le dire aujourd’hui, et si vous ne voulez plus que je vous le redise, je ne vous le redirai pas. Mais le sentiment que j’ai pour vous, ma chère et noble Sylvère, est plus grand que l’amitié et que l’admiration…

« Ne riez pas : je croyais être maître de mon cœur. Cela était orgueilleux, insensé ; j’en suis puni. Je suis moins maître de mon cœur aujourd’hui que je ne l’étais alors que j’effeuillais, à seize ou dix-sept ans, mes premières marguerites. Qu’en dites-vous ? qu’en pensez-vous ?

« Vous allez me répondre qu’il faut beaucoup, beaucoup travailler. Mais le travail même me rapproche de vous !

« Ah ! voyez-vous, Sylvère, c’est bien le Dieu qui est là ! Car à cet indice on ne saurait s’y tromper, je ne travaille plus pour l’art et la vérité, je travaille pour vous…

« José. »


— Ah ! s’écria Sylvère, le cœur battant a coups sourds, lourds, qui ébranlaient ses nerfs et lui se-