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l’épaule, les paupières mouillées, la bouche détendue, sévère et triste, réfléchit.

— Ainsi, pense Sylvère, il m’aime ! Il le dit, du moins, et peut-être est-ce vrai ! Et je ne ressens aucune colère. Il ne me fâche pas. Je ne suis ni blessée, ni indignée. Cependant, il me sait mariée, et il me parle comme si je pouvais accepter sa tendresse, ses soins… C’est me supposer capable de… Comme les autres alors, avec plus de formes ?… Et pourtant, non ; ce n’est pas la même chose. Je n’ai nulle honte a l’entendre. Il parle à mon cœur. Il ne me demande rien, il s’offre. Serait-ce une amitié ardente, cérébrale ? Aurait-il deviné ce qui me manque vraiment, et, généreux, meilleur que tous les autres, me laisserait-il la chaste liberté d’une affection délicieusement pure ?… Ah ! j’aurais tant besoin d’une amitié semblable, dont rien en moi ni autour de moi ne s’effaroucherait ! Etranges désirs de l’être ! Jamais un bonheur n’est complet. On se croit en possession de tout ce qui doit donner une félicité absolue, et toujours quelque chose y manque ! Car, il fallait vraiment que je fusse privée d'une affinité intellectuelle, sympathique, comme celle que j’éprouve pour lui, puisque cela me paraît si doux de l’avoir rencontré, si doux que mon cœur en défaille et que je ne puis penser à lui sans pleurer.


Boulogne.

« Votre lettre a couru un peu après moi, charmante et pénétrante comme tout ce qui vient de vous, ma chère Sylvère. Je ne saurais vous dire, sans me servir d’un langage que vous avez semblé proscrire, combien je pense à vous, combien vous êtes toujours voisine de mon âme et de mon cœur. Il y a des fatalités vraiment inéluctables.