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sa tournée. Sylvère s’est mise à table en peignoir de cachemire bleu ; on a parlé de l’avenir.

Grand’mère est fort pâle. Ses yeux sont gonflés ; elle a mal dormi ; ses mains remuent d’un petit tremblement nerveux. Elle fait semblant de manger, elle fait semblant de causer ; mais elle tient son visage penché sur son assiette et ses regards évitent de rencontrer les yeux de Sylvère, qui, elle, la regarde obstinément, gravement : regard empreint d’un douloureux reproche. Lui, pareil à un étourneau, gesticule et bavarde. Cependant, tous les trois cachent leur véritable pensée, sous la banalité polie de leur conversation.

Ce groupe est charmant dans la salle à manger claire, ouvrant au nord, sur le parc frais, dans l’ombre des frênes. En son fauteuil, l’aïeule, poudrée sous de fines dentelles retombantes ; près d’elle, la nouvelle jeune femme, dont la natte flottante, couleur de feuilles mortes, glisse sur la forme grêle des épaules voilées de bleu. En face, la tête folle et brune du gai bavard aux dents blanches. La servante bretonne tourne autour de la table, avec son bonnet brodé bien lissé, aux panneaux raides qui palpitent, à la coiffe pointue comme un hennin. Son corsage à bavette est orné de velours, les manches froncées.

Dans une corbeille, aux pieds de grand’mère, le petit chien Zizi dort ; et la chatte Manon, sur le bras du fauteuil, ronronne, les yeux mi-clos ; mais elle tape d’un air précieux, à coups précis, de sa patte veloutée, sur les doigts tremblants qui l’oublient.

Devant la porte-fenêtre des moineaux sautillent et piaillent en se disputant les miettes que Sylvère leur jette, d’un grand geste nonchalant d’idéale semeuse.

Et, dans les branches, les fauvettes s’égosillent