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sance, comme elle retrouvait ailleurs les traits de leurs visages sous le dessin et la couleur.

Ce livre, relié d’un pan de moire blanche pris à la robe de mariée de Mme Roland du Parclet et chiffré d’un entrelacement d’initiales, était un cahier de fort papier de Chine, large et carré, renfermant, écrite au recto seulement, toute la musique que le capitaine avait composée pendant ses rares et trop brefs loisirs.

Et non seulement la musique, laquelle, très diverse, passait d’une mélodie à une pavanne, et d’un essai symphonique à quelque fragment d’opéra ou de drame lyrique, mais aussi des paroles, écrites par deux mains différentes, et qui paraissaient avoir été composées par l’un et l’autre des deux époux, et comme pour mieux exprimer le chant qui se déroulait au-dessus ; car ces paroles, souvent sans suite apparente, n’avaient ni commencement ni fin, ainsi que le balbutiement de quelque pensée saisie au vol, d’une émotion soudainement jaillie, d’une sensation que l’on veut fixer en plein frissonnement, ainsi qu’un papillon cloué, les ailes vibrantes.

Mais ces ébauches mystérieuses gardaient un parfum d’amour, de rêve à deux, d’entente divine de deux âmes magnifiquement appareillées et se cachant, pour fuir ensemble, pendant les nuits étoilées, à la recherche vertigineuse de quelque délirant problème d’harmonie et d’art.

Sylvère avait épelé toutes ces pages, note à note et mot à mot, souvent sans comprendre, mais avec le respect qu’on a pour un livre sacré.

Elle y trouvait une douceur d’extase ; et des caresses maternelles lui semblaient monter vers elle de ce livre entr’ouvert d’où s’exhalait le plus pur des deux âmes qui s’y étaient ensemble consumées comme