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— Et celui que vous avez épousé, grand’mère, ressemblait-il au mari de vos rêves ?

— Certes non ?… Ce qui ne m’a pas empêchée d’aimer ton grand’père de tout mon cœur dès que je l’ai vu.

— Vous voyez donc bien que ce n’est pas la peine de se raconter des histoires par avance !

— La drôle de petite-fille que j’ai là ! Je voulais seulement te faire comprendre, ma raisonneuse, qu’il est bon d’éprouver quelque sympathie… physique pour la personne même de son mari. M’entends-tu ? Et qu'il serait cruel, quand tu serais mariée, de t’apercevoir que la personne de ton mari te cause une répugnance. Là !… est-ce clair ?

Sylvère, rêveuse et calme :

— Je n’éprouve aucune répugnance pour les êtres laids ou difformes, pourquoi en ressentirai-je si l’un de ceux-là devenait mon mari ?

— Mais, parce que l’intimité des relations conjugales… Dieu du ciel, quelle corvée !… Enfin, ma Sylvère, tu parlais d’enfant tout à l’heure ; ton mari en sera le père, le créateur !…

— Ah bon ! vous voulez parler de la ressemblance ? afin que les enfants soient beaux, bien faits, je comprends ! Eh bien, mais c’est très simple : tout le temps de ma grossesse, je ne regarderai pas mon mari, s’il est laid, voilà tout. Et je m’efforcerai de créer, par la pensée, un être parfait, et je contemplerai longuement quelque œuvre d’art, un beau portrait ou une belle personne, vous, par exemple, grand’mère !

— Et tu penses que cela suffit pour qu’un enfant ne ressemble en rien à son père ?

— Evidemment, car comment cela se pourrait-il si les yeux de la mère ne s’arrêtent pas sur lui ?