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Tu as atteint ton but, et j’ai manqué le mien. Ton idéal, poursuivi par des moyens extrêmes, tu l’as conquis sans rien perdre de ta bonne renommée et des respects du monde. Le mien m’a échappé et je demeure une déclassée, découronnée de ma réputation d’honnête femme, mais avec l’ironique satisfaction d’être restée chaste et fidèle à mes devoirs.

Cette conclusion paraîtrait condamner la femme au perpétuel sacrifice de sa vertu, puisqu’elle ne peut atteindre au bonheur, sous aucune forme, sans céder à l’éternel désir de l’homme. Mais elle prouve, au contraire, que cette vertu est l’attribut glorieux, digne des plus nobles convoitises, puisqu’il ne peut appartenir qu’aux vaillantes, aux résignées, à celles que nulle détresse n’effraie, et qui préfèrent ce pur joyau, pour parer leur féminité triomphante, à tous les dons qui leur pourraient venir de la souillure immonde.

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Que ne suis-je, hélas ! avec ces résignées, demeurée jusqu’au bout !… Oh ! lâche ! lâche !

A quoi bon me défendre maintenant ? Je suis perdue : J’ai pris la fièvre au contact de ce monde qui m’a trop effleurée ; j’ai pris la fièvre parmi ces désirs qui ont tiré de leur néant mes facultés sensorielles ; et le désir apporte en mon cerveau le grandissement de mes douleurs. Des visions vertigineuses s’y déroulent ; ma raison craque, tout s’effondre… Où vais-je ? Où vais-je tomber ?…

Adieu donc ! Pleure-moi comme une morte ; garde mon souvenir et, si tu le peux, un jour, parle de moi, raconte-moi, venge-moi. Je t’embrasse pour une éternité.

Sylvère.