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ce chemin où les routes se croisent, et sur lequel nul voyageur ne passe qui lui tende la main.




— A Mme de Bléry :

« Louise, tu ne me reverras plus, quoi qu’il arrive, — car à cette heure, j’ignore encore ou je serai ce soir. — Peut-être chez Baringer ; peut-être au couvent, là-bas ; peut-être sur mon lit, entre deux cierges, les mains jointes. Ce qui est certain, c’est que je disparais ou de ce monde ou de la vie, ou de ton chemin d’honnête femme. Je suis une épave à la mer : laisse passer, ne te retourne pas, le flot l’emporte.

Enfin me voici vaincue. Rends-moi cette justice que j’ai lutté. Et quelles luttes !… Cela ne vaut rien pour une femme de venir au monde pauvre et chaste. Il n’y a pas de place pour celle-là dans aucun groupe social. Quel que soit le travail qu’elle entreprenne pour gagner sa vie, elle n’y parviendra pas sans payer à l’homme la dême de sa chair soumise ou révoltée. Depuis la servante jusqu’à l’artiste, depuis l’ouvrière des fabriques jusqu’au bas-bleu, la femme qui travaille seule, non défendue par un mâle, légitime ou non, sera violée, avec ou sans son consentement, mais elle le sera ou elle crèvera de misère. Et cela, dans le plein épanouissement de notre société démocratisée, bénisseuse et morale, et inventrice des pullulantes bonnes œuvres.

Pour échapper à l’opprobre, quelques femmes se tuent, çà et là, rarement.

Moi, je ne sais pas ce que je ferai.

A la rigueur, je pourrais continuer la vie que je mène. Je gagne assez, jusqu’ici, avec mes éditeurs, pour me suffire. Mais combien de temps cela durera-t-il ?