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trouvera-t-elle le gîte qu’il faut à la créature humaine ?

Ce dilemme épouvantable, comme un satanique spectre, se dresse devant elle : elle ne peut vivre sans travailler ; et, pour que l’unique travail qu’elle soit capable de faire lui donne les moyens d’exister, il faut qu’elle accepte les conditions d’infamie qui, seules, confèrent le succès.

— Maintenant, semble lui dire, avec un luxurieux ricanement, ce spectre au visage d’homme : choisis.

— Mais alors ! je ne puis partir ?… clame tout à coup Sylvère, réveillée de son rêve de fuite éperdue…

C’est l’impasse où la bête acculée, impuissante à se défendre encore, doit mourir.

— Oui, mourir ! pense-t-elle avec un frissonnement de son corps qui commence à comprendre que l’heure de l’anéantissement est proche. Ce corps, non consulté et qui lui, peut-être, veut vivre !

Il avait droit à la vie, et au bonheur sain, trouvé dans un fonctionnement normal. Et voilà qu’en pleine vigueur, dans tout l’épanouissement de ses forces, il faut qu’il disparaisse, férocement brisé. Pourquoi ? Il discute ses droits, et Sylvère écoute, apitoyée, comme si elle entendait les plaintes vaines d’un condamné !

Est-ce sa faute, après tout, à ce corps, si l’âme qui l’anime est ainsi faite qu’elle ne saurait se plier aux exigences brutales de la vie ?

D’où vient cette dissidence entre ces deux parties d’un tout ? Pourquoi ces tiraillements et ce désaccord ? Lequel a raison ? Doit-on, quand même, et à n’importe quel prix, même le plus abject, conserver sa vie matérielle ? Ou bien vaut-il mieux obéir à la pensée qui défend sa pureté initiale, et la sauver des souillures en détruisant le corps, solliciteur des actes impurs ?

Et Sylvère rêve, arrêtée, au pied de ce calvaire, en