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Elle se leva un peu chancelante, comme étourdie, les nerfs détendus, à bout de courage ; et lasse, écœurée, malade, jusqu’à la nausée, d’un immense dégoût d’elle et des autres, et des choses, et de la vie surtout !

La revanche qu’elle venait de prendre sur ces femmes du monde, les forçant à venir saluer l’aurore d’une courtisane, après avoir dédaigné l’artiste honnête, cette revanche même n’avait pas apporté à son orgueil la joie qu’elle en espérait. Et, encore à l’apogée de son triomphe, ce triomphe lui faisait horreur. Elle eût voulu se soulager de ce fardeau d’infamie, en jetant au visage de ces poupées imbéciles le flot amer de son dégoût. Elle eût voulu les bafouer d’une ironie cinglante, avec des mots brutaux qui tachent. Elle eût voulu montrer à ces prudes mondaines la turpitude de leurs âmes dévoilées, mises à nu, avec leurs tares et leur sanie.

Mais elle avait trop attendu : sa colère était moindre que sa lassitude. Une lassitude à rêver la chute immédiate dans la mort qui délivre.

Maintenant elle s’en allait, ayant vainement cherché à rencontrer Mme de Bléry, qui s’était enfuie.

Comme Sylvère était venue, elle partait, au bras de Baringer.

Et la surexcitation accrue haussait sur leur passage le ton des acclamations, le murmure délirant des enthousiasmes.

Par un défi, elle put garder le renversement hautain de sa tête, le mépris souriant de son visage éclatant sous le fard, et sa raideur un peu solennelle qui impressionnait et donnait le pressentiment vague d’une souffrance héroïquement contenue. Jusqu’à sa voiture, elle marcha, automatique.