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Cependant il serait si heureux !

Elle aussi d’ailleurs ! Évidemment l’on devait s’accoutumer à cette situation ; tant de femmes y trouvaient le bonheur ! Folle, pensait-elle, d’avoir tant tardé !

Mais, lui, pourquoi donc tardait-il ? Sylvère vint à une fenêtre écouter le silence de la rue endormie. La nuit devenait plus noire, malgré le fourmillement des étoiles : une nuit qui s’enfonçait dans les ténèbres de l’heure, loin des crépuscules éteints et loin encore du croissant matinal d’une lune finissante. Le sombre tragique des minuits planait.

Le refroidissement de l’air toucha Sylvère aux épaules : elle frissonna.

— Quel retard ! c’est bien étrange. Pourtant il viendra. Si quelque empêchement, improbable, était survenu, il m’eût envoyé un mot. Rien. C’est qu’il est certain de venir. Mais osera-t-il sonner, à cette heure ? Que diront les concierges ? Il faudra parlementer. Et l’on saura qu’il est entré et demeuré chez moi, cette nuit ?…

Elle devint très rouge ; un désir vague lui passa qu’il ne vînt pas. Puis, tout de suite, un autre lui succéda, violent : oh ! qu’il vînt, qu’il vînt tout de suite ! Tant pis tout le reste ! Oh ! se blottir entre deux bras sur soi refermés pour toujours !… La tiédeur de cet abri…, la douceur des baisers…, la pâmoison lente et douce des caresses, sensation tant de fois réveillée et brusquement chassée par elle, lorsqu’il baisait ses doigts, un à un, et sa main, dans la paume, jusqu’au poignet, jusqu’au bras… Comme elle se fichait, épeurée alors, de l’angoisse mourante de son cœur, du hérissement de sa peau devenue toute froide… Mais elle n’aura plus peur ; elle tendra sa nuque aux baisers qu’elle fuyait,