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Un autre malade vient d’entrer. Celui-ci ne porte pas le costume de la maison. Il est vêtu d’une jaquette noire, d’un pantalon presque élégant ; il salue et serre les mains autour de lui, familièrement. On lui dit, avec ce sourire spécial qui le désigne à l’attention :

— Bonjour, docteur ! Comment va, aujourd’hui ?

— Hu ! hu !… pas mal. Mais ça manque de femmes.

Il est grisonnant ; sa chevelure épaisse, bouclée, lui fait une tête énorme, et il remue cette tête avec une vivacité singulière ; les yeux aussi virent, trop blancs ; la bouche est secouée d’un tic ; ses mains remuent, avec des étirements de doigts.

— Érotique et alcoolique, sussure le Dr Pall ; et, plus bas, d’un signe plutôt : incurable.

On essaie de le faire causer ; mais aucune idée ne se lie chez lui. Il commence une phrase, saute à une autre. Lui aussi est un inventeur, mais dans tous les genres, même les plus obscènes. On l’arrêterait, s’il ne s’arrêtait de lui-même.

Lorsqu’on l’a amené, il y a six ans, il avait tué le bon Dieu et… outragé la Vierge. Alors Dieu avait tout supprimé sur la terre ; il n’y avait plus rien, tout le monde mourait de faim : il en pleurait. Il fallait bien chercher une autre planète pour émigrer ; mais comment partir ? Dans des ballons, parbleu ! et les diriger ces ballons ? Voilà. Très simple. Par le fluide. Que n’y avait-on songé plus tôt ? Ce n’était pas dans l’air qu’il fallait ramer, mais dans les courants fluidiques. Ici, fichée en terre, une bobine énorme qui se déroulerait à l’infini ; et le ballon rattaché à cette bobine par un fil, un appareil pour recevoir, en l’air, la direction du courant, et on filait ! Ah ! ce que l’on filait… comme une simple dépêche.

Il avait encore inventé des traitements, des remèdes,