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écoutez-moi. Je ne comprends rien aux passions qui m’entourent. Si c’était cela aimer, ce serait une honte. On devrait s’en cacher, comme d’un mal répugnant. Mais vous aussi vous avez aimé, et vos âmes expriment un état ineffable, adorablement pur, une extase de vos deux êtres divinement appareillés et fondus dans un être unique parfait, complet, heureux enfin !

« Moi aussi, je voudrais aimer et être aimée comme vous !

« L’attrait charnel, cet instinct pur dont vous parlez avec une innocence radieuse, sans doute doit éclore naturellement entre deux êtres qui se sont d’abord cherchés du cœur et de l’âme, ont tendu l’un vers l’autre par toutes leurs affinités idéales, et, enfin mêlés, unis, ont laissé leurs corps vibrants chercher sa joie aussi dans un contact suprême. Mais tandis que s’accomplissait, naïve, l’œuvre de vie, l’être uni pensait et aimait, cérébralement, en dehors de la chair. Nulle débauche d’imagination, nulle recherche de désirs neufs, de sensations aigués ; mais l’étreinte noble et pure, le spasme du cœur, la jouissance éperdue de l’âme. L’amour : un frisson chaste, voudrais-je le définir.

« Mère, ce n’est pas ainsi que je suis aimée : chaque homme qui m’approche, — même, hélas ! celui qui attend pour devenir mon époux, — d’abord jette ses mains vers mon corps convoité. Sa pensée est une luxure, son désir ne vise qu’à un brutal plaisir. Tout juste les façons d’un taureau ou d’un bouc.

« Pourtant la nature nous a créés doubles : l’animal n’a que l’instinct, l’homme a, par surcroit, la pensée. L’animal s’accouple instinctivement, mais l’homme devrait y joindre la copulation spirituelle, celle-ci dominante. Aucun désir charnel ne devrait lui venir