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Ce malade s’inquiète presque uniquement du soleil qui frappe sur les vitres de la serre chaude où on le tient et de la nourriture légère qu’il absorbe, sans goût, mais avec une délectation d’instinct. Il a oublié ses origines, le temps écoulé depuis qu’il est né ; sa forme même, devenue imprécise, dans l’allongement sous la blancheur des draps, lui échappe. Il existe certainement, mais beaucoup moins qu’un animal libre, pas beaucoup plus qu’un roseau sur la rive.

Et il n’a gardé de la vie que ce qu’elle a de plus doux : l’existence d’un être sans conscience, sans pensée, sans responsabilité, sans devoir.

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— Maintenant que te voilà hors d’affaire, dit un matin, à Sylvère, Mme de Bléry, causons.

Sylvère soupira, se redressa avec un regret de quitter l’attitude paresseuse qu’elle avait sur la chaise longue, et son air résigné, dolent, disait encore l’ennui profond qu’elle éprouvait à se remettre à vivre.

C’était fini l’endormement si doux de ces dernières semaines dans l’oubli des cruelles obligations de la vie. Le repos de l’étape était terminé : il fallait à nouveau boucler son sac, se lever et partir.

— Allons, dit-elle, en passant la main sur son front où revenait le pli des pensées lourdes, raconte ; je ne sais plus rien.

Louise la regarda du coin de l’œil, scrutant jusqu’où pouvait bien aller cette indifférence et cet oubli des choses ; car elle redoutait justement d’être blâmée par Sylvère, du moins sur un point de sa gestion.

— Alors, reprit-elle, si tu ne sais rien, cela va bien. Je vais t’apprendre que ton roman…