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gré l’urbanité presque timide de son accueil, une véritable terreur aux débutants, et même à ses habituels collaborateurs. D’ailleurs, franchement ennemi de la littérature actuelle, n’admettant aucune concession et se trompant, avec la meilleure foi du monde, sur la valeur des manuscrits qu’on lui présente, grâce à cette antipathie pour l’écriture moderne qui lui fait rejeter, pour leur forme artiste, des œuvres de valeur et en admettre d’autres, qui n’en ont aucune, sinon, à ses yeux, la banalité de leur style.

On s’attardait un peu, en traversant cette salle à manger où l’on versait le thé et les boissons glacées ; puis, de là, on gagnait l’antichambre. C’était l’heure bruyante de la soirée. Parmi le cliquetis des tasses, quelques rires sonnaient. Tout autour de la table des groupes debout. Les rares femmes encore jeunes triomphaient, respectueusement pressées, vues de près, savourant les flatteries d’un ragoût littéraire parfois poncif. Les hommes célèbres s’abandonnaient avec grâce aux interviews rapides, aux épigrammes légères entre ennemis courtois.

C’était exquis.

Demeurée dans le premier salon, une femme rieuse, la voix haute maintenant, retenait autour d’elle un groupe important de fidèles : grosse, courte, épanouie, la mine spirituelle, le verbe facile : c'était Mme Auber de Vernon, l’académicienne célèbre, le Mécène bruyant des célébrités en herbe. Dans ce cercle, ou cénacle, madrigalisaient les critiques autorisés du Vieux-Monde, flânaient les directeurs de journaux et de Revues en quête de copie à la mode, car on venait chez Turmal chercher les évincés à l’écriture artiste que la bonne grâce de Mme Turmal retenait et rappelait quand même. Et les éditeurs venaient aussi ébaucher des traités,