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maison. Des artistes se succèdent au piano où s’exécute tout un programme délicat, savant, sérieux, à peine coupé par un intermède d’une gaité de bon goût ; et l’on est prié, énergiquement, d'écouter. On écoute. Entre deux numéros, après le dégel des applaudissements, vite, les causeurs se rapprochent. Des hommes, très dignes en leur gravité souriante, glissent d’un fauteuil à l’autre, s’assoient près de quelque jupe solennelle, et devisent. C’est d’un roman nouveau, c’est d’une étude dernièrement parue dans le Vieux-Monde, c’est des chances du candidat de la maison au prochain fauteuil de l’Académie. Ces immortels sont entourés ; leurs femmes ont une cour ; les écrivains en vogue reçoivent çà et là des volées d’encens…

— Chut !

La maîtresse de la maison est au piano. C’est une virtuose et une artiste. Elle est, de plus, charmante. Grande et brune, des yeux magnifiques, les plus belles dents du monde, accueillante et simple avec un grand air et une majesté naturelle due à son buste superbe et à son port de tête d’une fière élégance. Elle dégage une impression de grande dame admirablement honnête, simple, intelligente et bonne.

On l'écoute avec recueillement, on l’applaudit avec passion.

Il est minuit, c’est la fin. Le directeur du Vieux-Monde achève d'accomplir ses fonctions. Il va et vient, conduisant au buffet des femmes aux traînes encombrantes. Son nom est connu dans tout l'univers : Il se nomme Turmal. La notoriété déjà ancienne de son journal en fait un homme célèbre, bien qu’il n’ait jamais rien écrit. Mais il juge avec des idées arrêtées et un entêtement si âpre et une humeur si capricante les œuvres qui lui sont présentées, qu’il inspire, mal-