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— Ma foi ! répliqua Sylvère, je préférerais cela à la liberté dangereuse qui lui est laissée. Elle en jouit moins que l’homme qui la lui a donnée. Car ce n’est pas pour elle, pour son bien et son bonheur, que les civilisations l’ont faite à peu près libre. C’est afin que tous les hommes aient une plus grande facilité à prendre toutes les femmes. Elle, lâchée sur le pavé, doit se nourrir et se défendre seule ; tandis que les femmes que l’on enfermait et que l’on enferme encore, sont protégées, abritées et dispensées de gagner leur vie. Si encore, en l’abandonnant à ses propres moyens d’action, on lui avait octroyé la liberté complète de soi-même ! Mais non : on lui permet d’aller et de venir, de montrer à tous presque tous ses charmes, de rôder autour des hommes, d’être perpétuellement effleurée, excitée, pourchassée, démoralisée par eux ; et sensible et nerveuse comme elle l’est, si elle s’avise de vouloir profiter de sa liberté, le féroce gardien qui l’exhibe revendique son droit antique, son droit barbare et la tue. Tu approuves cette liberté-là, toi ? moi pas. Je la trouve perfide comme un piège. C’est un trébuchet où l’on nous prend toutes vives. Nous sommes livrées aux bêtes comme les martyres l’étaient dans le cirque ; on nous a tirées du cachot pour l’ébattement des hommes et les griffes des fauves.

— Peut-être, répliqua Mme de Bléry, après un silence. Mais alors nous sommes devenues les dompteuses, ayant appris l’art de coucher à nos pieds, vaincus et soumis, ces… animaux terribles dont tu parles.

— Soumis ? à quel prix ?

— Pour rien, ma chère, si l’on sait s’y prendre ; pour rien, ou peu de chose. Pas même un prix : un accessit. Moins que cela : une mention, un encouragement.

— Oui, des coquetteries, du flirt !…