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connaît, et il y a longtemps que je suis sur la brèche. Mais se débattre pour la défense de son corps convoité, se tenir prête à repousser l’assaut des mains et des lèvres, courir la chance des contacts brutaux, encore que l’honneur demeure sauf, c’est trop pour moi ! Je sais ce qu’il en est ; j’ai dû arracher ma poitrine des mains de Dablis et, poussée vers un mur, me garer à coups de poings, des baisers de quelques-uns, à coups de pied, des genoux de quelques autres ; et j’aimerais mieux mourir que de recommencer ces ignobles combats.

Il me semble parfois, lorsque ces pensées me reviennent, que j’ai laissé quelque chose de ma pureté à toutes ces mains, comme il demeure de la poussière d’or aux doigts qui ont essayé de retenir captives les ailes du papillon envolé.

— Toi, ma chérie, tu aurais dû entrer au couvent. Je l’ai bien souvent pensé. Tu n’es pas achevée : tu es comme ces enfants venus avant terme qu’il faut habiller de ouate, préserver du contact de l’air. Ton épiderme n’est pas formé. Le plus léger souffle te fait jeter des cris. Ah ! tu n’es pas, pour le métier que tu fais, la vaillante femelle qu’il faudrait être : résolue, la main prompte, la riposte vive, le rire éclatant, agressive et railleuse, et sachant démonter ton ennemi rien qu’en le regardant en face.

— Une virago, quoi ! grommela Sylvère en haussant les épaules.

— Si tu disais une amazone, pour rester classique.

— Ce n’est pas ainsi que je comprends la femme.

— Veux-tu que je dise comment tu la comprends, la femme ? Tu la voudrais esclave, enfermée dans un gynécée, étouffée sous des voiles, ne montrant son visage qu’à l’époux.