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et mettez-vous à l’œuvre. Dieu merci, ma vie m’appartient, et j’en puis disposer à mon gré. C’est ma consolation et ma force : je suis libre, puisque je puis anéantir tout à l’heure, s’il me plaît, ce qui me reste de cette odieuse vie. Je suis libre et de parler, et de crier, et de maudire, et de proférer l’anathème sur cette tourbe d’individus qui compose ce qu’on appelle le monde. Et, du moins, avant que de m’arracher… — oh ! avec quelle farouche joie ! — à cette belle terre inhumaine, je veux boire la volupté de mes pleurs hautainement répandus ; je veux sentir passer entre mes mains débiles le frisson des soufflets dont j’aurai déshonoré ta face, ô monstre, ô satyre, homme !

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— Cependant, ces lettres ?… Vous me permettrez d’en faire un choix… prudent ? La vengeance est mauvaise.

— Oui. Ne publiez que ce qui sera indispensable à la preuve d’authenticité des notes.

— Avez-vous songé à la forme qu’il convient d’adopter pour cette publication ?

— Mon avis, c’est qu’elle n’en doit point avoir. Il ne s’agit pas ici d’une œuvre rêvée, préparée, dont on trace d’abord les grandes lignes, dont on pétrit soigneusement la maquette. Ce sont là, plutôt, des lambeaux de vie qu’il faut accrocher l’un après l’autre, et comme des haillons sur une corde, tout au long du chemin que vous allez prendre. Ah ! le voilà bien, le roman vécu ! Pourvu qu’il ne vous effarouche pas !

— S’il ne s’agit que de le collationner !…

— Détrompez-vous. S’il n’eût fallu que cela, je l’aurais fait moi-même, encore que depuis longtemps la plume me soit tombée des mains, de lassitude et de dégoût. Mais ce que je ne pouvais faire, c’est de me juger.