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qui avaient violé ma chair. Il me sembla qu’il m’avait prise, que cette possession me faisait sienne désormais et pour toujours.

Un grand trouble m’étourdit, envoila mes yeux ; tout tournait autour de moi. Je tendis les mains pour m’accrocher ; mais, Paul, affolé, me croyant perdue pour lui, et ne voulant pas entendre le mot définitif, qui chasse, s’était jeté sur la sonnette. Il la secouait, puis revenait, me criait « pardon, pardon » ; et, avant que je me fusse retrouvée, il m’avait tirée vers l’entrebâillement de la porte, que je franchis comme en un songe, tandis que derrière moi, le battant refermé, je l’entendais s’éloigner.

Je me souviens d’avoir traversé la cour, gravi les marches et pénétré dans ma chambre d’un pas calme, rythmé, d’une allure mesurée, comme arrivée au terme d’un voyage qui rendait inutile désormais toute hâte, les temps se trouvant accomplis.

Et jamais sommeil lourd comme celui qui m’accabla dans cette fin de nuit ne m’avait terrassée ; sommeil sans rêve, chute dans l’insondable.

Le matin, vers huit heures, on sonna.

Janie était allée aux provisions. J’ouvris. C’était Paul, les yeux creux, la face tirée et blême, les cheveux ébouriffés ; sa cravate dénouée laissait voir un col frippé.

En balbutiant, il s’excusa, regardant ses pieds blancs de poussière. Cet air lamentable me toucha, je me reculai derrière la porte, et il entra :

— Je vous demande pardon de me présenter ainsi ; je ne suis pas rentré chez moi. Toute la nuit j’ai rôdé autour de cette maison, par les ruelles, avec des tentations d’aller me jeter à l’eau, d’en finir, car je n’en puis plus.

Il tomba sur une chaise, les bras ballants, le buste