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sentais extrêmement heureuse par la seule vision des choses, et très disposée à aiguiser ce plaisir cérébral de tout un apport sentimental et poétique.

Nous traversâmes la place de la Concorde, déserte et nue, éclatante de blancheur ; et l’unique aspect de sa noire aiguille égyptienne dressée vers le ciel constellé me rappela l’imaginative joie que je m’étais souvent donnée de rêver d’un voyage par la plaine des sables avec la seule rencontre des tombeaux de granit ou des roses sphinx.

Puis nous longeâmes les quais en remontant la Seine, ce fleuve tragique, la nuit, avec ses ombres noires et ses clartés semblables à des lueurs d’orage. La lune, en croissant, voguait, mince trirème d’or, parmi ces noirceurs et ces taches claires. Et comme elle tanguait, à travers des remous, nous nous accoudions longuement pour la voir.

Il ne passait personne ; nous étions bien seuls ; les maisons des quais, closes, éteintes. Un pays mort que nous traversions en touristes, en curieux, charmés de ne pas rencontrer d’importuns. Cela nous donnait une aise indicible. Nous parlions haut, avec des rires qui sonnaient. J’avais fini par abandonner le bras de Paul, et nous allions, ballants, sans rythme, partants, arrêtés, comme en pleins champs, lui, très gai, moi, un peu grisée de cet air nocturne et de tant de solitude et de tant de liberté.

Cela nous divertit de lire les affiches au clair de lune ; il nous prenait l’envie de nous amuser de tout.

Evidemment nous étions heureux, et ce bonheur se traduisait par des enfantillages. Mais la mobilité de nos plaisirs était extrême. C’était des effrois, souvent, qu’il me donnait, et qui me rejetaient craintive à son bras ; puis, sur la place du Parvis, il proposa de faire