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tième année, lorsqu’il passait chaque jour sous la terrasse du Parclet. Mais le visage était plus mâle, le teint plus chaud, les regards plus hardis ; la fauve chevelure crépelée, comme celle de Louise, avait gardé sa touffeur léonine, et la rouge bouche, à peine épaissie, accentuait sa forme d’arc tendu sous la moustache hérissée, retroussée, légère comme une mousse d’or. Seulement, au bas du visage que ce trait affinait une pointe de barbe rude et rousse.

M™ de Bléry s’entendait admirablement à grouper ses invités et à aguicher d’un mot les conversations les plus languissantes. Allant et venant par le salon, mettant, deçà, delà, le feu aux poudres, elle avait déjà allumé toutes les fusées qui crépitaient dans tous les coins et montaient en bavardages gais, en rires, en éclats et saillies de bonne humeur et d’esprit.

Je profitai de ce tapage, toutefois discret, pour isoler mes pensées, me recueillir et écouter ce qui se passait en moi. C’était le réveil de mes premiers rêves de jeune fille, le ressouvenir lointain des émotions virginales qui me laissaient curieuse et troublée chaque fois que Paul m’était apparu.

Toute ma vie, depuis lors, s’effaçait comme dans une brume ; je retrouvais mes dix-huit ans et leurs naïfs désirs, encore informulés :

— Madame est servie !

Je me dérangeai pour laisser passer les couples. Mme de Bléry au bras du sénateur Farvieux, l’exquise comtesse Phébé et le grave poète Marny-Leroy, Mme Alix Deschamps, le plus aimable des bas-bleus en chambre avec le galant financier Louvet, la princesse-poète Olga Doriani et le jeune rimeur fougueux et romantique Raoul de La Farge. Enfin je restai la dernière ;