Page:Peyrebrune - Le Roman d un bas bleu 1892.djvu/116

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Pourquoi ne m’as-tu jamais parlé de lui ?

Elle, venant à moi et me regardant au fond des yeux :

— Parce que je croyais que tu l’avais oublié.

— Pas plus que je ne t’avais oubliée.

Elle leva les épaules :

— Tu ne veux pas me comprendre.

— Enfin, dis-je, impatientée, veux-tu me donner de ses nouvelles ? Où est-il ? Qu’est-il devenu ?

Elle me fit signe de me taire, écoutant, vers le salon, des bruits de voix qui nous arrivaient. Puis, marchant vers la porte en m’invitant à la suivre :

— Dépêchons-nous, je suis en retard.

Elle écarta les tentures, et, comme je passais, elle me dit à demi-voix.

— Demande-lui donc à lui-même : il dîne avec nous ce soir.

J’étais entrée ; je continuai de marcher, mais comme avec un voile devant les yeux. Au travers de ce voile transparaissaient des silhouettes. Je ne sais pas comment je ne n’ai pas buté, je ne suis pas tombée, et j’ai pu répondre aux présentations qui m’étaient faites, aux compliments, aux phrases verbeuses, qui m’arrivaient lointaines, comme si elles sortaient d’un téléphone.

Je tenais mes yeux fixés et ma tête raide, évitant tout mouvement qui aurait pu faire entrer dans l’axe de mon regard la silhouette de celui qui devait être là, qui y était certainement, bien qu’il ne se fut pas encore approché de moi.

Bientôt, par un bizarre phénomène de vision, je l’aperçus, un peu à l’écart, et sans que mes yeux se fussent tournés vers lui. Et je retrouvai les traits inoubliés du bel adolescent qu’il était, dans sa ving-