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que je n’en démordrais pas. Il céda, enchanté au fond.

Le lendemain, il quittait Paris, puis la France, en compagnie d’une petite marcheuse de l’Opéra, ancien modèle un peu défraîchi, mais joliment faite au demeurant et une tête de vierge de Cimabué.

Cela le changeait de mon visage de gitane, acheva Louise.

Je remarquai alors sa beauté ardente, son teint ambré et les cheveux touffus, rebelles, qui lui plaquaient des crépelures sombres au front, aux tempes, à la nuque et jusque dans le cou.

Ces constatations, jointes à son récit, me donnaient tristement à penser. Je n’osai plus l’interroger, et ce fut en balbutiant que je dis :

— Alors, tu n’es pas heureuse, ma pauvre Louise ?…

— Moi ! fit-elle vivement. Et qui m’en empêcherait ?

Ce fut dit sur un ton hautain.

Puis, tout de suite, elle reprit son allure franche et nette :

— Ma petite Sylvère, j’ai une morale — si surprenant que cela te paraisse — et la voici : Tous et toutes nous avons droit au bonheur. Je dirai plus : nous avons le devoir d’être heureux ; sont coupables seulement ceux qui acquièrent leurs joies aux dépens des autres. Prendre à son mari une femme qu’il aime, à une femme l’homme qu’elle a choisi, exiger d’une créature la soumission à un amour imposé ; retenir dans ses liens celui qui, lassé, veut s’enfuir ; en un mot, tout bonheur qui cause à autrui un préjudice ou une douleur, est un crime. Mais la félicité pure d’égoïsme est légitime et sacrée.

Donc, rien ne m’empêchera jamais d’être heureuse, si je le puis sans faire tort, ni mal à personne. Et note bien que j’appellerais faire du mal de donner au