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la fermeté d’une raison précoce et les délicatesses d’un cœur bien né ; Eumolpe, l’ignoble séducteur de l’enfant de son hôte, l’aigrefin roublard qui roule si parfaitement les capteurs d’héritage, se révélant comme un ami dévoué à ses nouveaux amis, un homme de décision et de courage, un moraliste qui va chercher dans les faiblesses du cœur et de la conscience la cause profonde des défaillances du talent. Enfin quelle plus triste impression de l’existence que celle que laisse ce conte cruel et exquis, la Matrone d’Ephèse ! Nul, peut-être, n’a mieux montré aussi combien la vie

devient chose terrible dans une société d’où l’honnêteté disparaît il faut s’attendre à tout, à tout instant, de la part de tous. Aucune sécurité : on ne sait plus ni sur qui ni sur quoi compter, aucune confiance en personne, pas même en ses amis, pas même en soi-même, car l’individu sans gouvernail se sent lui-même, désemparé, ballotter au gré de passions ou de fantaisies dont demain il sera dégoûté.

Loin de nous la pensée de vouloir faire de Pétrone un moraliste de profession qui, dorant la pilule, fait passer la leçon dans une anecdote scabreuse. Il n’espérait sans doute le succès que de la liberté de ses récits, qui sont, il faut l’avouer, aussi amusants que licencieux, de la perfection de son style, de la vérité de son observation. Mais un observateur clairvoyant ne peut être que sérieux, puisqu’au fond la vie n’est pas gaie, et il ne faut pas laisser dire que la seule raison du succès de Pétrone c’est son immoralité. Une fois de plus l’ouvrage a deux faces, entre lesquelles le lecteur ne sait choisir.

Ces ambiguïtés, ces contradictions, ces obscurités, accrues encore par le temps, rendent peut-être, par le mystère dont il reste enveloppé, plus attachante que celle de bien des œuvres parfaites la lecture de ce demi-chef-d’œuvre.

Louis de Langle.