Page:Petrone - Satyricon, trad. de langle, 1923.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

resque et savoureuse que cette écriture tendue et morbide, ces oppositions de mots, ces scintillements d’expression, toute cette froide et savante cuisine de style dont Pétrone n’a pas toujours su s’affranchir même dans sa prose, parce qu’il était homme de lettres. Avec son goût si sûr et si fin, il connaissait fort bien les écueils qu’il fallait éviter, mais il a subi les conséquences d’une éducation première solide sans doute, mais étroitement technique, et l’influence du milieu, les entraînements de la mode. Sans doute enfin ce désir de briller, de plaire, fût-ce par des défauts, qui a gâté tant de bons écrivains, l’a-t-il incité à abuser de sa dangereuse virtuosité.

L’érudition contemporaine a donc précisé les contradictions qui abondent dans la pensée et dans le talent de Pétrone et a montré en même temps à quel point il avait été l’homme de son époque jusque dans ses inconséquences ; ce sceptique a une morale professionnelle très stricte ; ce railleur, ce démolisseur, ce parodiste incorrigible est, dans sa partie, l’homme de la tradition ; ce dilettante est un laborieux et un méthodique ; cet écrivain d’un goût si sûr et si délicat pèche quand il écrit contre les règles du goût qu’il vient de poser ; ses défauts s’exagèrent à mesure qu’il s’applique, mais s’il rate ses poèmes épiques, dès qu’il conte sans autre prétention que d’amuser, il retrouve son talent ; enfin ce virtuose de la plume, ce jongleur de mots se trouve être en même temps le créateur du roman réaliste. Ajouterons-nous que ce cynique auteur de tant de récits scabreux n’était sans doute pas dépourvu de délicatesse : il est difficile à un homme d’intelligence, il est difficile à un homme de goût d’être foncièrement immoral. Dans ses peintures les plus profondes et les plus plaisantes, quels jours jetés sur les contradictions qui sont au fond de la nature humaine : Encolpe sans scrupules et sans pitié invoquant sincèrement la justice ; Giton, dans le dernier des métiers apportant du tact, de la grâce, de la politesse,