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stance de la poésie : ce qu’il reproche à Lucain ce ne sont pas ses défauts littéraires, c’est de l’avoir bannie de sa Pharsale.

Et comme, exploitée depuis des siècles par les écrivains grecs et latins, elle n’offre plus que des thèmes rebattus, que tout le public lettré est supposé connaître, le poète procédera volontiers par voie d’allusions ou de périphrases, et son œuvre sera inintelligible pour le vulgaire.

Ce serait à peine forcer la pensée de notre auteur que de lui faire dire que, si l’éloquence doit être simple et naturelle, la poésie doit être recherchée, raffinée, savante et, pour tout dire, artificielle.

Avec de tels principes on réussira sans doute dans les petits poèmes, très à la mode depuis Auguste, où il suffit d’avoir de l’esprit, de la patte, un vocabulaire abondant et choisi mais on échouera dans les œuvres plus considérables qui ont besoin d’être soutenues par une inspiration sincère et forte.

Il est vrai que Pétrone prémunit le poète contre les traits brillants, les sentences éclatantes qui, faisant saillie sur la trame du poème, nuisent à l’ensemble, comme si avec la méthode qu’il prône il était possible de trouver autre chose que des vers à effet !

Son idéal littéraire, ses conceptions sur l’éducation de l’écrivain et sur les procédés de travail de l’homme de lettres ne sont pas moins significatifs.

Il prêche le retour à l’antique simplicité et au naturel ; il proscrit l’emphase, l’enflure, la déclamation, l’affectation, les faux brillants. L’œuvre d’art doit s’imposer par son effet d’ensemble, par son unité, par son harmonie. — Reste à savoir s’il prend la meilleure voie pour réaliser ce sévère idéal classique : il s’inquiète peu des idées : un lieu commun suffira à l’homme de talent qui sait le traiter avec esprit et élégance. Tout le problème c’est « sur un tissu d’idées communes de broder des expressions neuves et personnelles[1] ».

  1. Collignon, op. cit., p. 93.