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L’hypothèse est séduisante, bien qu’un plan rigoureux et un dessein suivi ne soient pas indispensables aux ouvrages de ce genre : Rabelais, Le Sage et Voltaire ont su s’en passer… Pourquoi faut-il que tant de passages consacrés à Priape ne soient ni très intéressants, ni très bien écrits, ni même très gais, et, pour tout dire, fassent un peu longueur ? Nous ne serions pas éloignés d’admettre, pour notre part, que Priape et sa colère tenaient moins de place dans l’œuvre primitive, mais qu’à l’époque où la curiosité publique se passionna pour tous les mystères, un éditeur industrieux introduisit les passages qui n’ont guère d’autre intérêt que de prétendre révéler les secrets de ceux de Priape. Ainsi les ironies de Pétrone auraient servi d’amorce à tous les cauchemars mystico-lubriques de la décadence dont la platitude malsaine et lugubre, sans esprit ni style, nous paraît indigne de notre auteur.

Sceptique en religion, Pétrone l’est aussi en morale. Il n’a pas le culte de l’humanité : trop clairvoyant pour ne pas voir ses travers et ses vices, trop délicat pour ne pas en être choqué, trop peu sensible pour l’en plaindre, mais trop dédaigneux pour lui en vouloir, il a pris le parti de se cantonner dans « une ironie calme, hautaine, amusée[1] ».

Pour ce dilettante dédaigneux et distant, pour « ce Mérimée sceptique au ton froid et exquis[2] », rien de plus antipathique sans doute que les petites gens avec leur exubérance naïve, leur vulgarité qui s’étale, leurs ridicules qui s’ignorent, leur familiarité de mauvais ton. Pourtant, malgré l’éloignement qu’ils auraient dû, semble-t-il, lui inspirer, il les connaît parfaitement jusque dans leurs habitudes, leurs gestes coutumiers, leurs banales pensées, leur langage tour à tour pittoresque et plat. Il aime à les observer, il aime à les peindre, sans sympathie, il est vrai, comme sans indulgence. Pour eux, cet aristocrate de tempérament

  1. Collignon, Pétrone en France, p. 130.
  2. Renan, L’Antéchrist, p. 139.