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plus savantes que Mlle de Scudéry. Comme ils allèguent les dieux, les fables et des exemples tirés de l’antiquité la plus reculée, ils promettent toujours des sacrifices ; et je pense que M. Chapelain a pris d’eux la manière de brûler les cœurs en holocauste. Lucien, tout ingénieux qu’il est, devient grossier sitôt qu’il parle d’amour. Ses courtisanes ont plutôt le langage des lieux publics que les discours des ruelles. Pour moi, qui suis grand admirateur des anciens, je ne laisse pas de rendre justice à notre nation, et de croire que nous avons sur eux en ce point un grand avantage. Et sans mentir, après avoir bien examiné cette matière, je ne sache aucun de ces grands génies qui eût pu faire parler d’amour Massinisse et Sophonisbe, César et Cléopâtre, aussi galamment que nous les avons ouï parler en notre langue. Autant que les autres nous le cèdent, autant Pétrone l’emporte sur nous. Nous n’avons point de roman qui nous fournisse une histoire aussi agréable que la Maftrone d’Ephèse. Rien de si galant que les poulets de Circé et de Poliœnos. Toute leur aventure, soit dans l’entretien, soit dans les descriptions, a un caractère fort au-dessus de la politesse de notre siècle. Jugez cependant s’il eût traité délicatement une belle passion, puisque c’était ici une affaire de deux personnes qui, à leur première vue, devaient goûter le dernier plaisir.

Voltaire n’admet au contraire ni que l’arbitre des élégances ait pu écrire le Satyricon, ni que Trimalcion soit une satire dé Néron. Son goût exigeant le rend sévère et pour Pétrone et, par ricochet, pour Saint-Evremond, auquel il n’a cessé de penser tandis qu’il écrivait ces lignes ; de même que Saint-Evremond, grand seigneur libertin et épicurien élégant, n’avait cessé de penser à lui-même en écrivant son Essai sur Pétrone[1].

  1. Ailleurs Voltaire attaque directement Saint-Evremond : « Des hommes qui se sont donnés pour des maîtres de goût et de volupté