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« On pourra dire que Pétrone est bien contraire à soi-même, d’en blâmer les vices, la mollesse et les plaisirs, lui qui fut si ingénieux dans la recherche des voluptés : Dum nihil amaenum, et molle affluentia putat, nisi quod ei Petronius approbavisset. Car, à dire vrai, quoique le prince fût assez corrompu de son naturel, au jugement de Plutarque, la complaisance de ce courtisan a contribué beaucoup à le jeter dans toute sorte de luxe et de profusion. En cela, comme en la plupart des choses de l’histoire, il faut regarder la différence des temps. Avant que Néron se fût laissé aller à cet étrange abandonnement, personne ne lui était si agréable que Pétrone : jusque-là, qu’une chose passait pour grossière, quand elle n’avait pas son approbation. Cette cour-là était comme une école de voluptés recherchées, où tout se rapportait à la délicatesse d’un goût si exquis. Je crois même que la politesse de notre auteur devint pernicieuse au public, et qu’il fut un des principaux à ruiner des gens considérables qui faisaient une profession particulière de sagesse et de vertu. Il ne prêchait que la libéralité à un empereur déjà prodigue, la mollesse à un voluptueux. Tout ce qui avait une apparence d’austérité avait pour lui un air ridicule.

« Selon mes conjectures, Traséas eut son tour, Helvidius le sien ; et quiconque avait du mérite, sans l’art de plaire, n’était pas fâcheux impunément. Dans cette sorte de vie, Néron se corrompait de plus en plus ; et comme la délicatesse des plaisirs vint à céder au désordre de la débauche, il tomba dans l’extravagance de tous les goûts. Alors Tigellin, jaloux des agréments de Pétrone et des avantages qu’il avait sur lui dans la science des voluptés, entreprit de le ruiner, quasi adversus aemulum et scientia voluptatum potiorem. Ce ne lui fut pas une chose malaisée : car l’Empereur, abandonné comme il était, ne pouvait plus souffrir un témoin si délicat de ses infamies. Il était moins gêné par les remords de ses crimes que par une honte secrète qu’il sen-