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« Aux yeux de ceux pour qui les disputes de mots ne sont que de doctes âneries, Rome paraîtra peut-être redevable à la Grèce de ces deux espèces de satyres. Varron, de son aveu même, avait imité Ménippe le Cynique ; et les satyres du second genre s’appellent encore aujourd’hui Ménippées, du nom du philosophe grec. Pour la satyre du premier genre, les Grecs lui avaient donné le nom de Silles ; et les fragments de Silles de Timon le Phliasien, sceptique célèbre par ses vers mordants contre les dogmatiques, prouvent assez que la Grèce avait ses Lucile et ses Horace. N’était-ce donc pas une satyre, ces iambes lancés par le Grec Sotade contre Ptolémée-Philadelphe, ces iambes cruels qui mirent en fureur leur royale victime, et firent enfin précipiter dans le Nil leur malheureux auteur ? Maintenant personne n’ignore que Lucile, Pacuve, Ennius même, ne parurent qu’après Ptolémée-Philadelphe ; or, Timon et Sotade florissaient sous ce prince. Les Grecs connurent donc la satyre proprement dite ; ils la connurent donc même avant les Romains. Ainsi la satyre fut d’abord à Rome ce qu’elle avait été dans Athènes : la seule différence qui la distingua par la suite chez ces deux peuples, c’est qu’en changeant de forme, elle retint en Italie son nom primitif, tandis qu’elle prenait tour à tour chez les Grecs celui de Silles ou de Ménippée.

« Les mots ne tiennent pas toujours ce que leur étymologie promet ; l’usage, ce tyran des langues, est plus fort que les grammairiens, et souvent l’expression est la même quand la chose a changé. Charmé de la marche libre et facile que donnait à la Ménippée le mélange des vers et de la prose, les Romains s’accoutumèrent insensiblement à désigner par son nom les écrits revêtus de la même forme, quoique éloigné de son caractère original. Histoires, romans, philosophie, morale, tout fut bientôt de son ressort. On oublia qu’elle était née caustique, pour ne plus voir en elle qu’une ingénieuse babillarde. Pourvu que, dans un même