Page:Petrone - Satyricon, trad. de langle, 1923.djvu/299

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fourrai au lit et tournai aussitôt ma fureur contre ce maudit ustensile cause unique de tous mes maux.

Trois fois j’ai pris en main le redoutable fer à deux tranchants,
Trois fois, plus mou que le thyrse aux pousses flexibles,
Je reculai devant le fer, mal guidé par ma main tremblante,
Et déjà n’était plus possible ce que tout à l’heure je voulais exécuter,
Car le coupable, plus glacé. par la peur que l’hiver gelé,
Avait cherché asile aux mille rides de mes organes.
De sorte que je ne pus en extraire sa tête pour le supplice projeté…
Me trouvant joué par la pâle frousse du pendard,
J’eus recours aux paroles que je choisis aussi vexantes que possible.

Me dressant sur mon coude, j’interpellai donc le rebelle[1] : « Qu’as-tu à dire, honte des hommes et des dieux ? Car il ne m’est plus permis de te mettre encore au nombre des choses sérieuses. Grâce à toi, je suis tombé du ciel au plus profond des enfers ! Que t’ai-je fait pour flétrir les fleurs de ma jeunesse sous les glaces et les langueurs de la dernière décrépitude ? Allons, signe-moi mon extrait mortuaire. » C’est ainsi qu’irrité je me répandais en reproches.

Mais lui me tournait le dos, regardant obstinément le sol,
Et n’était pas plus ému des beaux discours que je lui tenais[2]
Que les saules pleureurs ou les pavots à la tige lasse.

Je n’eus pas plutôt prononcé cette indécente invective que je regrettai mes paroles, envahi d’une honte secrète pour avoir oublié toute pudeur au point d’avoir parlé de cette partie du corps à laquelle les gens bien élevés n’osent pas même penser.

  1. Ce monologue irrité n’est d’un bout à l’autre qu’une parodie des poètes épiques et tragiques : le comique jaillit du contraste de la noblesse du style avec l’obscénité du sujet.
  2. Parodie spirituelle, mais obscène des beaux vers de l’Enéide, où, aux Enfers, Didon, dans son ressentiment, se détourne d’Énée (v. 469-470). La fin du dernier vers : les pavots la tige basse, est empruntée à la mort d’Euryale (Enéide, IX, 435) et, le début, à l’églogue V, vers 16.