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de vos admirateurs un modeste étranger. Vous trouverez un fidèle fervent, si vous permettez qu’on vous adore. Et n’allez pas croire que je me présente les mains vides au temple de l’Amour ; je vous sacrifie mon frère.

— Eh quoi ! dit-elle, vous me sacrifiez celui sans lequel vous ne pouvez vivre, celui pour qui vous avez tout l’amour que je voudrais vous voir pour moi ?

Elle me dit ces choses avec un tel charme dans la voix et des sons si doux que je croyais entendre le chœur des Sirènes. Ébloui par l’éclat plus que céleste de sa beauté, je voulus connaître le nom de ma déesse : « Comment, dit-elle, ma servante ne vous a donc pas dit que je me nommais Circé ? Non point que je sois la fille du Soleil ni que ma mère ait pu à sa volonté en arrêter le cours. Pourtant, je me croirai digne du séjour des dieux si les destins joignent nos deux cœurs. Et même, je ne saurais dire comment, c’est quelque dieu qui me pousse dans cette aventure : ce ne peut être sans raison qu’une nouvelle Circé aime un autre Polyænos[1] ; entre ces deux noms surgit fatalement une étincelle. Pressez-moi donc dans vos bras, si vous voulez, et ne redoutez pas les regards indiscrets, car votre frère est bien loin d’ici. » Ainsi parla Circé, et m’enlaçant dans ses bras plus doux que le duvet, elle m’entraîna par terre sur un gazon émaillé de fleurs.

Des sommets de l’Ida telle répand des fleurs
La Terre maternelle quand, dans les chaines d’un amour réciproque,
Jupiter de tout cœur s’abandonne à sa flamme !
Alors surfissent les roses, les violettes et le jonc flexible,
Et, sortant du vert des prés, le lys blanc est un sourire :
Telle, par un fin gazon, la terre se fit accueillante pour Vénus
Et le jour plus clair sourit à nos secrètes amours.

  1. Allusion aux amours d’Ulysse et de Circé. Ulysse est en effet appelé dans l’Odyssée (XII, 184) πολύαίνος, c’est-à-dire : digne de beaucoup d’éloges.